Psi
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ENTRETIEN AVEC L'AUTEUR
Quel a été le point de départ de ce projet ?
En 2014, je travaillais comme traducteur en parallèle de mes études de philo et de relations internationales. J'avais 27 ans et il fallait que je décide de mon avenir. Toute ma vie j'ai été tiraillé entre le cinéma et mon envie d'explorer d'autre pistes : à une époque je me voyais devenir avocat, plus tard je voulais faire de la diplomate ou du journalisme. Mais je ne me suis jamais engagé dans une voie, j'essayais de garder un pied dans chaque. Au fond, je savais que je regretterais de ne pas poursuivre le cinéma. Il fallait que j'arrête de vouloir vivre toutes les vies, et si j'allais choisir une voie, ça devait être celle-là.
En 2014, je travaillais comme traducteur en parallèle de mes études de philo et de relations internationales. J'avais 27 ans et il fallait que je décide de mon avenir. Toute ma vie j'ai été tiraillé entre le cinéma et mon envie d'explorer d'autre pistes : à une époque je me voyais devenir avocat, plus tard je voulais faire de la diplomate ou du journalisme. Mais je ne me suis jamais engagé dans une voie, j'essayais de garder un pied dans chaque. Au fond, je savais que je regretterais de ne pas poursuivre le cinéma. Il fallait que j'arrête de vouloir vivre toutes les vies, et si j'allais choisir une voie, ça devait être celle-là.
C'est de là qu'est venue l'idée de faire un film sur 5 vies parallèles ?
Tout le monde se demande comment sa vie serait si les choses s'étaient passées autrement. Et quand on y repense bien, toutes les choses qu'on considère être les plus importantes - là où on vit, notre travail, nos amis, nos histoires d’amour –tout ça repose sur des petits évènements qui auraient très facilement pu ne pas arriver, à quelques détails ou quelques secondes près. C'est flippant et magique. C'est pour ça que je m'intéresse au libre arbitre – à quel point est-ce qu’on contrôle vraiment sa vie ? Donc le film était pour moi non seulement une façon d'expérimenter toutes ces vies mais aussi, en lui-même, c'était un test de cette liberté : est-ce que je peux juste décider de changer de voie et définir qui je vais devenir ? Je savais que ça n'arriverait pas du jour au lendemain. Mais il faut se lancer Quel matériel as-tu acheté ?
Un Canon 6D avec trois objectifs : un 24-105mm, un 50mm et un grand angle 14mm. J'ai aussi acheté un trépied, un Glidecam d'occasion, un rig épaule et un kit ventouse pour accrocher la caméra à une voiture. Et un sac à dos, pour tout transporter. Comment s'est déroulé le tournage ? Je suis parti dans les cinq villes du film - Paris, Londres, Helsinki, Jérusalem et Los Angeles - et c'était comme se jeter sans cesse dans l'inconnu. Tout s’est fait à l'improviste, sans autorisation. En général, je cadrais, sauf quand j'étais dans le plan, auquel cas quelqu'un d'autre prenait la caméra - des amis, de la famille, des amis d'amis, des inconnus même. Il y a des plans à Jérusalem qui ont été tournés par un gamin qu’on venait de croiser dans la rue, et d'autres plans à Paris cadrés par Stéphane Le Parc, qui est chef-opérateur dans le cinéma. Et le tout fonctionne. |
Pourquoi tu as choisi de jouer toi-même dans le film ?
À l'origine c'est venu des contraintes. Pour ce film il fallait mettre en scène la même personne dans 5 villes et je n'avais pas les moyens de faire venir un acteur partout avec moi, d'autant plus que je ne savais jamais combien de temps ça allait prendre. Donc la seule solution c'était que je joue ce personnage. Au début j'étais assez réticent parce que je ne suis pas comédien et je ne voulais pas non plus être le réal qui fait un film sur lui-même. Mais à partir du moment où j'ai réalisé que c’était la seule solution, j’ai décidé de l’exploiter au maximum en brouillant la frontière entre la réalité et la fiction. Et donc pourquoi ces 5 villes : Londres, Paris, Jérusalem, Helsinki et Los Angeles ? À nouveau, les villes se sont un peu choisies elles-mêmes. Souvent quand on a peu de budget on détermine les moyens avant la fin. C’est ce que j’ai fait : j’ai commencé par regarder les villes où j'avais des amis ou de la famille. Et ensuite j'ai écrit des histoires crédibles pour chacune. Certaines des vies sont des vies que j'ai eues : j'ai été barman à Londres, j'ai mis un costume tous les jours pour aller au bureau comme à Helsinki. L'important était que toutes ces vies soient cohérentes. Est-ce qu'une des vies était plus dure à tourner que les autres ? À Los Angeles je ne connaissais personne et Skid Row - le quartier où se réunissent les SDF - est un quartier assez dur, parfois dangereux et difficile à intégrer, donc j'ai vraiment eu de la chance de tourner au Midnight Mission, où j’ai été guidé par Joey, responsable là-bas. La vie parisienne aussi s'est avérée compliquée parce qu'il fallait que je trouve un vrai plateau de cinéma, pour donner l’impression que mon personnage est devenu réalisateur à succès. |
Comment tu as fait pour ces scènes de tournage de cinéma ?
J'ai d'abord contacté des prods en tournage pour leur demander de me laisser tourner une heure ou deux sur leur décor – sans réponse. Et puis en me faufilant sur des plateaux TSF à Epinay, j’ai rencontré la chef-déco du film Brice de Nice, 3, qui m'a donné le mail du directeur de prod. Une semaine plus tard, le réalisateur, James Huth, m’a appelé pour me rencontrer et il m’a proposé de faire le Making-Of du film. Je me suis retrouvé alors à Nice avec toute l'équipe. C'était fou, je n’étais jamais allé sur un plateau de cinéma. Pendant le tournage dans les studios d’Epinay, James a mis le plateau du film à ma disposition pour mes scènes. Toute l'équipe a joué le jeu, comme si j’étais le réal. C'était tellement improbable mais une expérience très enrichissante. La cabane enneigée qu'on aperçoit dans le film, c'est celle où Jean Dujardin joue Brice en vieux. Le film comprend des interventions d'intellectuels renommés - pourquoi ce choix ? Je voulais que le film soit une réflexion sur des sujets complexes comme le libre arbitre ou le choix, et je pense que les personnes les mieux placées pour en parler sont des philosophes et des scientifiques. Je ne voulais pas que ces informations soient relayées par des personnages ou de la voix-off. Le fait d'ajouter leurs remarques au déroulement de l’histoire fictive des 5 personnages crée une expérience inhabituelle et je voulais pousser des limites narratives. Pourquoi penses-tu que ce film parle au gens ? Parce qu'on s’est tous posé la question : et si j'avais fait autrement ? Pourquoi je ne suis pas plus heureux de ma vie ? Est-ce que je suis vraiment maître de mon destin ? Ce sont des questions très prenantes, encore plus depuis 20-30 ans. |
La génération Y, les « Millenials » comme on dit - on fait partie d'une génération qui a eu accès au monde et à des opportunités décuplées et surtout où on nous dit depuis qu'on est tout petit, par nos parents, notre entourage, notre culture, qu'on peut être qui on veut, qu'on doit s'attendre à avoir ce degré de contrôle et d'ambition personnelle. Mais les choses ne sont pas aussi simples en pratique : on a du mal à choisir et quand on le fait, on est souvent pas aussi satisfaits qu'on devrait l'être. On parle aujourd’hui d'une « crise de la vingtaine », où les gens paniquent parce qu'ils ne savent plus quoi faire de leur vie, s'ils doivent se marier ou pas, avoir des enfants ou pas, faire une reconversion professionnelle, etc. Évidemment, tout ça ce sont des problèmes de privilégiés, dans des pays riches et développés. Il est évident qu’il y des problèmes plus graves dans le monde. Mais si on considère le confort matériel et la liberté comme des choses positives - et je pense que c'est le cas, on souhaite que tous les pays en aient davantage - alors ces problèmes doivent être corrigés en route. Et c’est vraiment une sorte de fléau psychologique que je vois partout : cette incapacité à être satisfaits de ce qu'on a. La déception de penser que sa vie n'est pas aussi bonne qu'elle devrait être. Parce que si en plus on se sent responsable de cet échec, ça provoque des angoisses, de la dépression... C'est terrible parce qu'une fois qu'on met le doigt dessus, on se rend compte qu'on en est tous un peu victime, et qu'il faut savoir l'affronter.
Quels films t'ont inspiré pour « psi » ?
Il y en a quelques-uns. « Mr. Nobody » de Jaco Van Dormael, pour le sujet. Je suis un grand fan de « Koyaniskatsi » de Godfrey Reggio's, et des deux films de Ron Fricke, « Baraka » et « Samsara », pour leur imagerie contemplative. Mais il y a surtout deux films qui m’ont amené à faire « psi » : « Another Earth » de Mike Cahill et « The Tree of Life » de Terrence Malick. Le premier m’a donné la motivation de faire mon film moi-même, avec les moyens du bord. Le second a éveillé quelque chose de plus profond en moi et j’ai écrit PSI comme une forme de réponse. Car il pose en grande partie les mêmes questions, mais en les approchant différemment. Tu parles d'images contemplatives : « psi » présente un grand nombre d'œuvres des grands artistes - Kapoor, Arman, Gormley - pourquoi ce focus ? Je voulais que les gens prennent le temps de voir le monde différemment. Et une bonne façon de le faire c'est de leur montrer des choses qu'ils ont peut-être déjà l'habitude de voir, comme des œuvres d'art présentes dans l'espace public ou des bâtiments connus qu'ils croisent au quotidien, mais en maintenant leur regard dessus pour les forcer à les contempler sous un jour nouveau et les remplir eux-mêmes de sens. La musque joue aussi un rôle important. Comment cela s'est mis en place ? Je ne connaissais pas de compositeur, alors j’ai cherché et trouvé le site d’un certain Alexis Maingaud, dont j’ai adoré la musique. On s'est rencontré à Paris autour d'un café et on était sur la même longueur d'onde. On a travaillé pendant un an de manière coordonnée sur la composition musicale et le montage du film. Les deux se sont faits en parallèle. Alexis est un compositeur extraordinaire. Il a eu le courage de pousser les limites, d'avoir à la fois de grandes symphonies Hollywoodiennes et des morceaux plus contemporains. Le fait qu'il ait pu produire une BO aussi riche compte tenu des ressources à disposition – c’est le talent d’Alexis. |
Côté production - comment tu as financé ce film et combien ça t’a couté ?
Tout au long du tournage, je travaillais comme traducteur indépendant donc je le finançais comme ça. Parfois, ma famille ou mes amis participaient. En tout le film a couté à peu près 25.000 euros - et cela comprend le matériel, les déplacements, l'hébergement quand je n'étais pas chez des amis, certains services payants. Pourquoi avoir autoproduit de cette façon ? Ce film n'aurait jamais vu le jour si j'avais cherché des prods ou des subventions en amont. Donc au début c'était une façon pour moi de me lancer, de me prouver à moi-même que je pouvais le faire, et qu’il était possible de faire film sans avoir des millions ou le soutient des institutions. Et puis en réalité, ce tournage a été une expérience très personnelle - j'explorais les villes la plupart du temps tout seul – et je n'aurais pas voulu qu'un prod m'appelle pour me dire où aller ou quand partir. Ce qui m’a donné une totale maîtrise sur le film lui-même. Enfin, « psi » c'est aussi une Série d’interviews et un Blog. Pourquoi ? Avec les 9 entretiens, j'avais plus de 12 heures d'interview dont seule une fraction serait dans le film (2 ont été coupés au montage). C'était un énorme gâchis car ils sont très intéressants. Donc j'ai décidé d'en faire une série. Quant au livre, j'ai commencé à l'écrire parce que les gens que je rencontrais, surtout d’autres cinéastes, me demandaient souvent comment ce film s’était fait, pourquoi, etc. Du coup, la meilleure façon de leur répondre était de partager l'expérience dans un blog. Ensemble, les trois contenus forment un triptyque - et c'est ça, Ψ. |
Et donc pourquoi Ψ ?
D’abord parce que la lettre, visuellement, représente l’idée centrale du film : une vie qui se scinde en plusieurs branches – faisant aussi écho à l’idée d’un triptyque. Mais surtout parce que la lettre grecque Ψ est utilisée en physique quantique dans l'équation de Schrödinger pour représenter la fonction d'onde, c’est-à-dire les états possibles dans lesquels une chose peut se trouver. Quand on effectue une mesure et qu'on observe le résultat, une des possibilités s’actualise et on parle alors de l'effondrement de la fonction d'onde - une seules des possibilités est devenue réelle. Je trouve que le parallèle avec l’idée du choix est frappant. On est tous, en fait, une espèce de fonction d’onde quantique permanente, qui cherche à s’actualiser d’une manière ou d’une autre !
D’abord parce que la lettre, visuellement, représente l’idée centrale du film : une vie qui se scinde en plusieurs branches – faisant aussi écho à l’idée d’un triptyque. Mais surtout parce que la lettre grecque Ψ est utilisée en physique quantique dans l'équation de Schrödinger pour représenter la fonction d'onde, c’est-à-dire les états possibles dans lesquels une chose peut se trouver. Quand on effectue une mesure et qu'on observe le résultat, une des possibilités s’actualise et on parle alors de l'effondrement de la fonction d'onde - une seules des possibilités est devenue réelle. Je trouve que le parallèle avec l’idée du choix est frappant. On est tous, en fait, une espèce de fonction d’onde quantique permanente, qui cherche à s’actualiser d’une manière ou d’une autre !
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